« Du fric ou on vous tue ! »
de Alèssi Dell'Umbria
Autour du Livre
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Le livre sera disponible en librairie à partir du 03 novembre 2023 !
Dates et lieux de présentation à venir…

« Du fric ou on vous tue ! : j’ignore qui avait pu écrire ça sur un mur, au début des années 1980, à Marseille, mais j’avais bien aimé cette menace de braqueur qui résonnait là comme une injonction plus générale à ceux qui tiennent les cordons de la Bourse. »

Une association de hors-la-loi révolutionnaires, ainsi pourrait-on qualifier le groupe Os Cangaceiros, qui prit ce nom en hommage aux bandits du Nordeste brésilien. Ce livre raconte l’histoire de cette bande de jeunes qui, refusant d’aller travailler, s’était orga­nisée pour arnaquer les banques et prêter main-forte aux luttes qui secouaient alors les prisons, les usines et les banlieues.

Ce récit de première main peut être lu comme une contre-histoire de la dé­cen­­­nie 1980, durant laquelle se mit en place le régime de gouvernance que nous subissons depuis.

Alèssi Dell’Umbria est l’auteur de : Histoire universelle de Marseille. De l’an mil à l’an deux mille (Agone, 2006) ; C’est de la racaille ? Eh bien, j’en suis ! À propos de la révolte de l’automne 2005 (L’Échappée, 2006) (réédité et augmenté sous le titre La Rage et la Révolte en 2010 par Agone) ; Échos du Mexique indien et rebelle (Rue des cascades, 2010) ; R.I.P. Jacques Mesrine (Pepitas de calabaza, 2011) ; Tarantella ! Possession et dépossession dans l’ex-royaume de Naples (L’œil d’or, 2016) ; Istmeño, le vent de la révolte. Chronique d’une lutte indigène contre l’industrie éolienne, Livre-DVD (Collectif des métiers de l’édition / Les éditions du bout de la ville, 2018) ; Antimatrix (La Tempête, 2021).

Format: 11 x 21 cm, 176 pages
Papiers: Holmen TRND 55 g/m2, Brossulin XT Bianco 210 g/m2
Typographies : Media 77, Manuka Slab et Druk Wide
ISBN: 978-2-9555738-6-0
Dépôt légal: novembre 2023

16,00 16,00

Le livre sera disponible en librairie à partir du 03 novembre 2023 !

Extrait :

Nous avions traversé toutes ces années, hantés par l’imminence d’une nouvelle insurrection. Mais l’élection de François Mitterrand en 1981 consommait la fin de ces espoirs messianiques. Le candidat socialiste avait même pu se permettre de faire campagne avec un mot d’ordre qui sonnait très 1968 : « Vivre ! »… À partir de 1983, plus aucun doute ne serait permis, mais l’effet de sidération aurait joué. C’était d’ailleurs la fonction historique de la social-démocratie, selon un scénario éprouvé et que l’on a vu se rejouer plus récemment dans plusieurs pays d’Amérique latine. Il fallait s’organiser pour traverser le désert qui s’étendait.

Qu’allaient donc devenir nos complicités et nos amitiés ? Après une décennie à délirer en bande, nous avions atteint la limite. Car si l’existence de la bande exprime une aspiration à la communauté humaine, celle-ci ne peut se construire à partir d’une immédiateté. C’est pourquoi les bandes finissent tôt ou tard par se désa­gréger. De nos propres expériences, nous savions qu’une communauté ne pouvait avoir véritablement d’existence que médiatisée. C’est ce dont nous allions avoir la confirmation plus tard, à la lecture de récits d’anthropologues décrivant des communautés indigènes qui, en cela, n’étaient pas du tout « primitives ». Les médiations qui agissent entre les membres de ces communautés, loin d’être de simples moyens indifférents à ce qui serait l’essence de ce commun, sont précisément ce qui le fonde : « Les armes, disait justement Hegel, ne sont rien d’autre que l’essence même des combattants. » Et rien ne nous était plus étranger que la raison instrumentale propre aux appareils politiques. Pour nous, c’étaient les moyens qui justifiaient la fin et non l’inverse.

Os Cangaceiros a pris tournure à la fin de l’année 1984. Des relations d’amitié entre plusieurs petites bandes qui sévissaient dans différentes villes se tissaient depuis un an ou deux. Outre ceux de Paris, il y avait le groupe des Normands, de Rouen et du Havre, des gens de Nantes, de Marseille et plus tard de Toulouse. Contrairement à ce qui a pu être dit, Os Cangaceiros n’était pas la suite des Fossoyeurs du Vieux Monde, même si certains d’entre eux s’y sont retrouvés. Les Fossoyeurs avaient été une petite bande itinérante, typique des années 1970, ce que n’était pas Os Cangaceiros.

Un lieu a tout spécialement servi de point de ren­contre entre tous ces gens, à Paris : un immense appar­tement occupant tout un étage que nous squattions depuis le début de l’année 1983, au 23 de la rue du Faubourg-Saint-Denis, à quelques pas de la très belle et très inutile Porte Saint-Denis. Il était assez vaste pour servir tout à la fois de lieu d’habitation et de lieu de passage. Il appartenait à une association d’anciens combattants qui ne s’est jamais manifestée – sans doute un legs dont ils n’avaient aucun usage et qu’ils gardaient sous le coude en un temps où la spéculation foncière n’avait pas encore investi le moindre mètre carré disponible. Quelques-uns des futurs membres d’Os Cangaceiros logeaient là, et il y avait encore de la place pour les amis de passage, qu’ils viennent de la proche banlieue ou de pays étrangers. L’endroit était particulièrement bien situé, dans un quartier populaire très animé, y compris de nuit, de sorte qu’un peu de va-et-vient n’y avait rien d’anormal. N’étant pas un squat public et revendiqué, mais un appartement occupé discrètement au troisième étage d’un immeuble anonyme, il n’attirait pas l’attention de la police. Nous avons réussi à passer inaperçus en ce lieu pendant près de cinq ans. Quand je pense à la fine équipe que nous formions, c’est presque un exploit !

Lors de la première réunion, en avril 1985, il fut dé­cidé d’énoncer des règles communes sous forme de statuts, comme un serment prononcé par les participants. Une seule personne avait un peu renâclé, mais nous avions finalement rédigé deux pages qui définissaient des conditions d’appartenance et des règles incontournables à suivre entre nous, notamment en matière de solidarité et de sécurité collective. Ces statuts prévoyaient aussi l’obligation de se rassembler régulièrement au complet pour débattre des questions de fond et des tactiques, et le fait que les décisions prises alors seraient valables pour tous et toutes. Recourir à un tel énoncé aurait pu sembler formaliste, mais nous avions payé pour savoir que l’implicite s’avère tôt ou tard une source inépuisable de problèmes. Nous avons préféré poser des bases claires et nettes. Les exemplaires de ces statuts ont été brûlés à l’automne 1987, mais leur contenu était clairement inscrit dans nos têtes. Nous devions découvrir par la suite l’existence des statuts de la Ligue des communistes rédigés par Marx en avril 1847 et y trouver un petit air de ressemblance, bien que les statuts d’un regroupement international comme la Ligue aient évidemment dû traiter une plus grande complexité de questions que ceux d’un petit groupe électif.

Au cours de cette réunion, afin de stimuler le débat le second jour, trois participants furent désignés pour rédiger un questionnaire. Le but était de nous définir : qui sommes-nous, quels sont nos objectifs et quels moyens entendons-nous employer pour y parvenir ? Les réponses écrites par chacun furent ensuite lues à voix haute, les plus significatives étant sélectionnées pour composer le texte de présentation du nº 2 de la revue : « Nous, Cangaceiros. »

Les textes d’intervention politique édités par le groupe Os Cangaceiros sont disponibles sur le site du Centre de Recherche pour l’Alternative Sociale :
https://cras31.info/spip.php?article669