Vivre avec le trouble
de Donna J. Haraway
Autour du Livre
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– Dates et lieux de présentation à venir…

Presse:

L’humanité, 09/20, Vivre en des temps troublés, par Sylvia Duverger
Liberation, 08/20, Donna haraway, l’évolution d’après nature, par Geneviève Delaisi de Parseval
– La vie des idées, 08/20, Penser comme un poulpe, par Milena Maglio
– Le Vif, 07/10, Donna Haraway, philosophe des sciences : complexifier plutôt que détruire, entretien avec Laurent de Sutter
Le nouvel obs, 06/20, Apprendre à vivre dans un monde abîmé avec Donna Haraway, par Xavier de la Porte
Télérama, 06/20, La Terre vit une période de destruction aiguë, il faut y mettre un terme, et vite !, par Weronika Zarachowicz
Le nouvel obs, 12/19, Donna Haraway, par Bruno Latour : Une force de la nature.
France Culture, 12/2019, Le manifeste des espèces compagnes de Donna J. Haraway, avis critique par Raphaël Bourgois.
Libération, 05/2019, Le «Manifeste cyborg» ou l’invention d’une histoire féministe, par Paloma Soria Brown.
Le Monde, 01/2019, Donna Haraway, une approche politique, poétique et provocatrice, par Catherine Vincent.
France Culture, 01/2019, Jusqu’où peut-on aller avec son chien ?, Le journal de la philo, par Géraldine Mosnat-Savoye.
Les Inrocks, 02/2018, Le Chthulucène, manuel de survie sur une planète polluée, par Julie Ackermann.
Les Inrocks, 01/2016, Qui est Donna Haraway, la pionnière du cyberféminisme ?, par Philotée Gaymard.

Traduit de l’anglais (États-unis) par Vivien García

Titre original :
Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene
Première publication: Duke University Press, Durham and London, 2016. Tous droits réservés © Duke University Press, 2016.

Vivre avec le trouble, c’est entrer dans un monde étrange — le nôtre — où le temps, sorti de ses gonds, se retrouve ballotté dans un tourbillon de rencontres multispécifiques, d’appropriations violentes, de créations collectives sur fond de désastres climatiques. Un monde où les pensées émanent de symbiotes à corps multiples, visqueux et tentaculaires. Où la Terre est animée de forces aussi puissantes que terrifiantes. Où l’Humain, décomposé en humus, composte avec les autres espèces.
Résolument impures, les histoires que raconte Donna Haraway mélan­­­gent les règnes, les époques, les registres, les matiè­res et les disciplines — mais elles se situent toujours quel­que part. Ce sont des histoires aventureuses, aussi denses de collabora­tions que de conflits, de terreurs que de possibles réjouissants. Ce sont des histoires de récu­­pérations partielles, pour bien vivre et bien mourir sur une Terre abîmée.

L’auteure: Philosophe des sciences, Donna Haraway est professeure émérite au département d’Histoire de la conscience à l’Université de Californie à Santa Cruz. Elle est l’autrice de Manifeste cyborg et autres essais : sciences, fictions, féminismes (Exil, 2007) ; Des singes, des cyborgs et des femmes : la réinvention de la nature (Actes Sud, 2009) ; Le manifeste des espèces compagnes : chiens, humains et autres partenaires (Flammarion, 2019).

 

Format: 14,5 x 22 cm, 380 pages
Papiers: Munken Print 70g, Munken Polar 80g, Pergamenata bianca 90g, Keaykolour Parchement gray 270g
ISBN: 978-2-9555738-4-6
Dépôt légal: avril 2020

28,00 28,00

Table Des Matières:

Introduction
Chapitre 1
Jeux de ficelles entre espèces compagnes

Chapitre 2
Une pensée tentaculaire
Anthropocène, Capitalocène, Chthulucène

Chapitre 3
Sympoïèse
La symbiogenèse & les arts de vivre avec le trouble

Chapitre 4
Faites des parents !
Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène

Chapitre 5
Inondée d’urine
DES, Premarin & respons(h)abilité multispécifique

Chapitre 6
Ensemencer des mondes
Un sac de graines pour terraformer ensemble

Chapitre 7
Une pratique curieuse

Chapitre 8
Histoire de Camille
Les Enfants du Compost

Remerciements
Bibliographie
Historique de la publication

Extraits:

 

On ne saurait douter du fait que certains processus anthropiques — en inter- et intra-action avec d’autres processus et avec des espèces autres-qu’humaines — aient eu des effets planétaires. Il en est ainsi depuis ce que l’on identifie comme l’apparition de notre espèce (soit il y a quelques dizaines de milliers d’années) et davantage encore depuis les débuts de l’agriculture (il y a quelques milliers d’années). Depuis le commencement pour autant — et cela est toujours vrai — les bactéries et apparentées sont les principales Terra(ré)formatrices. Elles aussi inter- et intra-agissent avec pléthore d’espèces différentes — dont les êtres humains et leurs pratiques, y compris technologiques[1]. Mentionnons encore que des millions d’années avant l’agriculture humaine, la propagation de plantes disséminant leurs graines transforma considérablement la planète. Et il en fut encore ainsi de tant d’événements historiques révolutionnaires, évolutionnaires, écologiques et développementaux.
Nos ancêtres rejoignirent très vite et avec dynamisme cette mêlée tapageuse, et ce avant même de devenir — avant même que nous devenions — ces bestioles que l’on appela plus tard Homo sapiens. À mon sens, toutefois, les problèmes que soulèvent les dénominations d’Anthropocène, de Plantationocène et de Capitalocène relèvent davantage de questions d’échelles, de taux et de vitesses, de synchronicité et de complexité. Lorsqu’on considère des phénomènes systémiques, certaines interrogations s’imposent : « À quel moment des changements de degré deviennent-ils des changements de nature ? » « Quels sont les effets, non pas de l’Homme, mais d’un groupe d’êtres humains situés ? Situés d’un point de vue bioculturel, biotechnique, biopolitique et historique. » « Quels sont-ils, relativement à (et en combinai- son avec) ceux d’autres assemblages d’espèces ou de forces biotiques/ abiotiques ? » Aucune espèce n’agit seule. Pas même la nôtre, du haut de toute son arrogance et de la prétention de ses membres à agir en « bons individus » — suivant les scénarios que l’on dit « modernes » et « occidentaux ». Ce sont les assemblages d’espèces organiques et d’acteurs abiotiques qui font l’histoire, toutes les histoires, celle de l’évolution et les autres.

Mais ne peut-on pas observer un point d’inflexion ? Un point à partir duquel le « jeu » de la vie sur Terre changerait tellement — pour toutes, tous et tout — qu’il faudrait le nommer autrement. Ne voyez pas là une simple référence aux changements climatiques. Je parle aussi de l’accablant fardeau que représentent les produits chimiques toxiques, l’exploitation minière, la pollution nucléaire, l’assèchement des rivières et des lacs (y compris souterrains), la simplification des écosystèmes ou encore les vastes génocides d’êtres humains et d’autres bestioles… La liste est encore longue. Mais dans tous les cas, ces tendances sont liées de manière systémique. Elles nous menacent d’effondrements systémiques en chaîne. Effondrement systémique majeur après effondrement systémique majeur après effondrement systémique majeur… La récursivité peut être une véritable galère ! Dans « Feral Biologies » (une récente communication de colloque), Anna Tsing a suggéré que le point d’inflexion entre l’Holocène et l’Anthropocène pourrait correspondre à l’élimination de la plupart des refuges où divers assemblages d’espèces (au sein desquels on peut éventuellement retrouver des êtres humains) peuvent se reconstituer après des événements majeurs (comme une désertification, une coupe rase…)[2]. Cette idée s’apparente aux propos de Jason Moore (le coordinateur du World-Ecology Research Network) lorsqu’il affirme que le temps de la nature bon marché touche à sa fin. L’extraction et la production (au sein) du monde contemporain, se fondant sur un tel avilissement, n’en ont plus pour longtemps ; la majeure partie des ressources terrestres ont été asséchées, brûlées, appauvries, empoisonnées, exterminées ou, le cas échéant, épuisées[3]. Des investissements colossaux et des technologies extrêmement innovantes (immensément destructrices aussi) repousseront probablement l’échéance. Cela ne change rien à l’affaire : c’en est fini de la nature bon marché. Anna Tsing fait correspondre l’Holocène à la longue période durant laquelle les refuges biologiques, les lieux de refuge, existaient encore et même abondaient. Dans une riche diversité culturelle et biologique, des mondes s’y reformaient. Le scandale qui mérite de se voir nommé Anthropocène a sans doute trait à la destruction des temps et des lieux où les êtres humains et les autres bestioles pouvaient se réfugier. Je ne suis pas seule à penser que cet Anthropocène, à l’instar de la limite K-Pg entre le Crétacé et le Paléogène, est un événement limite plutôt qu’une époque[4]. Il indique des discontinuités extrêmes: ce qui vient n’est pas à l’image de ce qui s’est déjà produit. Nous devons, je pense, faire en sorte que l’Anthropocène soit aussi court/mince que possible. Nous devons cultiver ensemble, de toutes les manières imaginables, des époques à venir susceptibles de reconstituer des refuges.

En ce moment même, la Terre est pleine de réfugiés, humains et non humains, sans refuge.

 

[1] Rappelons que le concept d’intra-action nous vient de : Karen Barad, Meeting the Universe Halfway, op. cit. Je continue à utiliser aussi celui d’interaction, afin que mes écrits demeurent lisibles pour un public qui n’aurait pas encore saisi le changement radical que Karen Barad revendique et probablement aussi parce qu’en matière de linguistique, je suis une fille facile !

[2] Voir : Anna L. Tsing, « Feral Biologies », Communication personnelle (Intervention au colloque Anthropological Visions of Sustainable Futures tenu au University College de Londres le 14 décembre 2015), 2015.

[3] Voir : Jason W. Moore, Capitalism in the Web of Life, op. cit.

[4]  Je reprends cette idée à Scott Gilbert. C’est au cours d’une conversation publique à l’Université d’Aarhus en octobre 2014, qu’il a indiqué que l’Anthropocène (et le Plantationocène) devrait être considéré comme une limite (comme la limite K-Pg) plutôt que comme une époque. Voir : Donna J. Haraway, Noboru Ishikawa, Scott F. Gilbert et al., « Anthropologists Are Talking — About the Anthropocene », Ethnos, vol. 81, n° 3, 2016, p. 535-564.