Entre un néant et un autre
de Ratcharge
Autour du Livre
  ⌃

En librairie depuis le 28 avril 2017.
Dates et lieux de présentation à suivre.

Ratcharge (2004-2014) était un fanzine qui disséquait le quotidien avec le même acharnement que la musique. Au fil de ses trente-quatre numéros, il a montré ce que pouvait être la littérature punk : pas de nostalgie, une démarche autonome de A à Z et des récits directement tirés du vécu, couchés sur le papier comme trois accords plaqués dans un fracas de larsens. Errances urbaines, squats, dérives sous acide, apnées salariales, guerre contre l’ennui : une littérature brute, héritière bâtarde de la contreculture américaine et du vide existentiel de la banlieue parisienne.

Ces textes ont paru pour la première fois dans les numéros 5 à 28 de Ratcharge. Certains avaient déjà été regroupés sous le titre Entre un néant et un autre, dans une édition fabriquée en 2010 par l’atelier du 103. Une poignée avaient été compilés dans le recueil À moitié vide, auto-publié en 2013. La présente version a été révisée par l’auteur et le comité éditorial des Éditions des mondes à faire.

Format: 115 x 180 mm, 156 pages
11 illustrations noir et blanc
Papiers:  Arcoprint Milk 85g/m2, Olin Rough 200g/m2
ISBN:  978-2-9555738-2-2
Dépôt légal: avril 2017

13,00 13,00

Disponible sur commande

Table des matières:

Préface
En un battement de cils
Crise de foi
Rien
Yog Sothoth
Quand on a de la glace
Là d’où on vient
Retour d’acide
Berlin-Est
Marteaux, faux cils, vrais et faux cons
Et même des chaussettes neuves
La Chose
Grenier
Neuf mètres carrés
Tony
Pieds nus à Babylone
Malentendu
La vie, la mort, Pulp Fiction
San Francisco, etc.
Le banc
Postface

Extrait: Préface, p.5

En théorie, rien dans le punk ne supporte le moindre recul. La chanson écrite depuis l’abîme doit en con­stituer la bande-son et rien d’autre. Le rédacteur de fanzine, par son zèle, œuvre autant pour la scène qu’il en mine ce qu’elle a de plus précieux — le désespoir ou l’excitation d’origine. Il est jugé par ses pairs selon la fidélité qu’il met à les retranscrire, et sa marge d’erreur est infime. Car si on doit trahir l’expérience, mieux vaut que les lecteurs s’en payent une bonne tranche au passage sinon c’est comme une double trahison. C’est peut-être pour ça que la première édition de ce recueil se concluait sur la phrase « Les mots sont aussi cheap que le reste », manière de dire « Fallait être là et le vivre » et d’assumer face au texte la basse-fidélité du punk. Pourtant, en dix ans de Ratcharge, on n’enlèvera pas à Alex d’avoir toujours collé de près à l’expérience, et au genre de vécu chaotique qui survient lorsqu’on s’entête à vouloir « détruire l’ennui », que celui-ci soit né des représentations creuses du punk ou de l’errance suburbaine.

À la lecture de ces textes, chacun remontera le temps jusqu’à sa propre post-adolescence et se souviendra avec joie ou douleur de ce qu’il ou elle faisait pen­dant qu’Alex prenait du LSD dans les rues de Rennes, bossait à l’usine en région parisienne ou cambriolait des maisons en Nouvelle-Zélande.

Certains regret­te­ront une jeunesse trop sage, des expériences vécues par procuration à travers la musique et les fan­­­zines des autres, la sensation de mauvais endroit, mauvais moment, mauvaises personnes. Pour la plupart, une ville de province française, le squat local, les premiers concerts, un visage, un sourire, une em­­brouille, un bad-trip, une chanson.

Ou encore, des moments d’une intensité plus jamais re­trouvée, des cicatrices jamais vraiment refermées. À quel point ces expériences et ces rencontres déci­dent-elles d’une vie ? On est toujours libre, en thé­orie, de faire demi-tour. Certains protagonistes de ce recueil ont aujour­d’hui des boulots, des crédits et des enfants. Pour les autres, les quinze années écoulées leur auront peut-être appris à exprimer leur ré­volte  de manière moins autodestructrice, mais ce sont les éternels « enfants » en bout de table lors des repas de famille, avec à 35 ans, rien chez eux qui en fasse des adultes. Comme si quelque chose s’était joué au cours de ces quelques années de post-adolescence longues comme une vie, quelque chose qui s’imprime dans le corps et l’esprit, telle la remontée de LSD qui menace encore à tout instant, des décennies plus tard.

Oui, pour certains le punk est comme un pacte qui, s’il vous sauve de l’abîme, vous maintient pour toujours entre un néant et un autre. Il y a une froide lucidité chez les punks de 35 ans, et les addictions et les rires amers qui vont avec. Au risque de prêter à Alex des prétentions philosophiques qu’il n’a pas, le « nihilisme positif » qu’il évoquait parfois dans ses pages est pour beaucoup d’entre nous une règle de survie quotidienne, et aussi la genèse de Ratcharge, un fanzine où au milieu de tout le reste, j’ai toujours perçu beaucoup de joie. Une joie du faire, les doigts plein de colle, absorbé tel un gosse, mais aussi la joie de ceux qui se sont trouvés au bord de l’abîme, ont longtemps tenté d’en apercevoir le fond, hésitant maintes fois à s’y jeter puis se sont fina­­­lement re­­tou­r­­­nés, ont haussé les épaules à la manière si parti­­­­­cu­lière d’Alexandre Simon et se sont roulé la première clope du reste de leur vie.

Une vie qui consiste depuis, pour Alex, à tenter de démentir ce qu’on appellera peut-être un jour ses « écrits de jeunesse », en se confrontant chaque jour aux mots afin qu’à force de les malmener ils re­­trouvent un peu de valeur à ses yeux, sous les agencements infinis de la fiction. Il n’y a jamais eu de nostalgie dans Ratcharge. Chaque histoire est plutôt un appel dirigé dans le néant, vers la prochaine ville, le prochain visage, la prochaine histoire. Peu importe que celle-ci soit réelle ou fictive, vécue ou inventée, elle existera par nécessité, prendra vie ou renaîtra avec les mots d’Alex et parviendra peut-être, elle aussi, à résister au passage du temps et à l’usure de l’ennui.

Julien Besse, août 2016